UN PARTICULIER PEUT-IL ÉMETTRE UN ACTE ADMINISTRATIF ? LA NOTION DE FONCTIONNAIRE DE FAIT
La notion du fonctionnaire de fait est une notion de droit administratif qui vise à atténuer les conséquences négatives de l’irrégularité de la nomination ou de l’investiture d’un agent public. Elle permet de considérer que les actes accomplis par cet agent sont valides tant que sa situation n’a pas été remise en cause par le juge.
La
théorie du fonctionnaire de fait repose sur deux fondements principaux :
- Le premier est celui
de l’apparence. Il s’agit de protéger la confiance du public
et des tiers qui ont eu affaire à un agent qui semblait légitime et
compétent pour exercer ses fonctions. Par exemple, le juge administratif a reconnu la
qualité de fonctionnaire de fait à un maire élu irrégulièrement [1], à un préfet nommé par décret annulé [2],
ou à un agent maintenu en poste après l’âge de la retraite[3] .
- Le second est celui
de la nécessité de continuité du service public. Il s’agit
d’assurer le bon fonctionnement des administrations et des services
publics, notamment en cas de circonstances exceptionnelles qui
empêchent le respect des règles normales d’investiture. Par exemple, le
juge administratif a admis la qualité de fonctionnaire de fait aux agents
qui ont exercé leurs fonctions pendant la Seconde Guerre mondiale[4]
ou pendant la guerre d’Algérie.
Pour
ce qui est des circonstances exceptionnelles, nous avons un arrêt qui illustre
parfaitement cette situation. Il s’agit du célèbre arrêt Marion (C. E
05 mars 1948 ; Rec 113 ; D1949. 147).
En
effet, le 20 mai 1948, lors de la seconde guerre mondiale, la commune de Saint
Valery-sur-somme est envahie par les allemands. Les conseillers municipaux de
la ville avaient déjà quitté la ville sentant l’arrivée prochaine des
allemands.
Spontanément,
certains habitants de la commune s’étaient constitués une municipalité de fait,
appelée « comité des intérêts valériens ». Ils avaient géré les services publics,
éviter les pillages, assurer le ravitaillement en réquisitionnant et en vendant
à la population les stocks des magasins de la commune.
À
la fin de la guerre et après l’arrivée de la municipalité, le conseil d’Etat
saisi d’une action concernant ces actes pris par le comité, a admis la légalité
de ces mesures au regard du caractère
exceptionnel des circonstances au moment des faits.
Le
Conseil d’Etat a affirmé précisément : « que ces actes n’étaient pas étrangers
à la compétence légale des autorités municipales ; que dans la mesure où
les circonstances exceptionnelles nées de l’invasion leur conféraient un
caractère de nécessité et d’urgence, ils devaient regardés comme administratifs ».
REGLE JURISPRUDENTIELLE
A RETENIR
En
principe, des particuliers ne peuvent pas édicter des actes administratifs du
fait des règles de compétence.
Cependant,
en raison des circonstances exceptionnelles, il y’a atteinte aux règles de
compétences : ainsi, des mesures édictées par de simples particuliers sont
considérés comme des actes administratifs, en application de la théorie du
fonctionnaire de fait.
REMARQUES
1- En
période normale : un acte pris par des particuliers n’est pas un acte administratif.
Pis, il dépasse souvent le stade de simple illégalité et est considéré comme
inexistant (arrêt Laffite n°21-CA).
2- Effets
de circonstances exceptionnelles : en raison des circonstances
exceptionnelles, selon l’arrêt Marion, des actes édictés par de simples
particuliers peuvent être considérés par le juge comme administratifs, et
engager la responsabilité de l’Administration, selon la théorie dite du fonctionnaire de fait.
Le
Conseil d’Etat estime que de tels actes auraient été pris par le Conseil
Municipal s’il avait été présent durant cette période, puis qu’ils entrent dans
les fonctions, les compétences normales du Conseil Municipal (actes d’intérêt
général). Le faisant, les membres du comité doivent être considérés comme des
fonctionnaires de fait et leurs actes comme administratifs.
On
retiendra tout simplement ceci : il arrive que de simples particuliers prennent
des décisions de leur plein gré pour le fonctionnement des services publics
alors qu’ils n’ont pas été investis à cet effet. Cependant, ces actes seront
considérés par le juge administratif comme valables pour deux raisons (qui sont
les fondements de la théorie du fonctionnaire de fait) : l’apparence et
la nécessité de continuité du service public, que nous avons élucidé
ci-dessus.
En
l’espèce, dans l’affaire Marion, c’est surtout la nécessité et l’urgence de la
continuité du service public qui a fondé la théorie et justifié la position du
Conseil d’Etat : les actes du comité pour leur nécessité, ont été
considérés comme administratif.
En
définitive, il sied de retenir que la théorie du fonctionnaire de fait
s’applique à tous les agents publics, qu’ils soient élus, nommés ou
contractuels. Elle concerne aussi bien les agents de l’État que ceux des
collectivités territoriales ou des établissements publics.
La
théorie du fonctionnaire de fait a pour effet de valider les actes pris par
l’agent irrégulier, mais elle ne lui confère pas tous les droits et obligations
d’un fonctionnaire régulier. Par exemple, il ne peut pas bénéficier du statut
protecteur des fonctionnaires, ni prétendre au versement d’un traitement.
Si
vous souhaitez approfondir ce sujet, vous pouvez consulter les sources
suivantes :
- Théorie des fonctionnaires de fait —
Wikipédia
- Théorie des fonctionnaires de fait - Wikiwand
- Le
fonctionnaire de fait ou quand le juge sauve les apparences
Domaine :
- Effets
des circonstances exceptionnelles ;
- Atteinte
aux règles de compétence ;
- Théorie
du fonctionnaire de fait.
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