LE SYLLOGISME EN DROIT : UNE METHODE DE RAISONNEMENT INCONTOURNABLE ?

Il est fréquent que les étudiants en droit et les professionnels du droit aient des difficultés à articuler des arguments solides. 

Il n'est pas rare que les professeurs rencontrent des copies d'étudiants qui ont du mal à agencer leur argumentaire au cours des exercices de Cas pratiques. C'est également le cas dans le monde du contentieux où certains juristes, à defaut d'avoir un raisonnement cohérent, voient leurs affaires prendre une trajectoire peu commode entraînant un echec cuisant.

Eh pourtant, il est tout à fait possible d'être entendu, compris et de remporter une affaire d'une façon simple qu'éfficace.

Comme l’a souligné le philosophe Blaise Pascal : « La vraie éloquence se moque de l'éloquence », indiquant que l'art de bien raisonner réside dans la simplicité et la clarté

De ce fait, le syllogisme constitue une solution particulièrement efficace. En réalité, il permet de structurer le raisonnement de façon logique et cohérente. Tout d’abord, on part d'une règle générale, ensuite, on l’applique aux faits spécifiques, pour enfin en déduire une conclusion. Dès lors, cette méthode facilite la présentation des arguments, en les rendant plus clairs et plus convaincants.

Ainsi, nous allons dans les lignes qui suivent, examiner le syllogisme plus en détail afin de déterminer s’il constitue réellement la méthode de raisonnement incontournable en droit, tant pour les étudiants que pour les professionnels.

Nous aborderons d’abord brièvement de sa définition, avant de parler de ses origines. Puis, après avoir présenté  sa structure et son utilité, nous discuterons de ses limites éventuelles, avant de conclure sur son rôle dans le raisonnement juridique moderne.




 I. DEFINITION DU SYLLOGISME 

La définition du syllogisme a fait couler beaucoup d'encres dans le milieu universitaire. Il faut le dire, quoique l'origine du syllogisme soit imputée à Aristote (considiré comme l'un des père de la philosophie), il n'en demeure pas moins que les juristes se sont accaparés ce mode de raisonnement dans la discipline du Droit. 

En effet, Aristote est le fondateur de la logique formelle et définit le syllogisme comme un raisonnement déductif où, à partir de deux propositions (les prémisses), on déduit une troisième (la conclusion) nécessairement vraie si les prémisses sont vraies (Aristote, Organon, Les Premiers Analytiques, traduction française par J. Tricot, Paris, Vrin, 1976). 

Des siècles plus tard, c'est Emmanuel Kant qui voit le syllogisme comme une structure formelle de la raison, qui se base sur la déduction nécessaire d'une conclusion à partir de prémisses données. Il distingue également entre des syllogismes catégoriques, hypothétiques et disjonctifs dans ses œuvres. (Kant, Critique de la raison pure, A305/B362, traduction française par A. Tremesaygues et B. Pacaud, Paris, PUF, 1944).

Cette approche de la notion du syllogisme ne sera pas écartée par les auteurs et grands Maîtres du Droit. C'est en cela qu'on peut lire Michel Troper qui décrit le syllogisme juridique comme un modèle de raisonnement appliqué au droit, où une règle de droit (majeure) et une situation de fait (mineure) permettent de déduire une décision (conclusion). Il explique que ce modèle est au cœur de la logique judiciaire, même si le raisonnement juridique peut parfois aller au-delà du simple syllogisme. (Michel Troper, Pour une théorie juridique de l’interprétation, Paris, PUF, 1991). 

Pour Jean-Louis Bergel, le syllogisme juridique est un « procédé déductif » qui structure la méthode des juristes. Il souligne que le syllogisme articule la règle de droit avec les faits pour en tirer une conclusion juridique, indispensable à la cohérence des décisions judiciaires (Jean-Louis Bergel, Théorie générale du droit, Paris, Dalloz, 2020).

Quant au doyen François Terré, il parle du syllogisme juridique en tant qu’outil central du juge, permettant de confronter les faits à une règle de droit générale pour arriver à une décision logique. Il précise que le raisonnement du juge est structuré par le syllogisme, même si des éléments d’interprétation peuvent venir l'influencer (François Terré et Philippe Simler, Droit civil. Les obligations, Paris, Dalloz, 2021).

A l'anayse de l'ensemble de ces définitions, on pourrait affirmer que le syllogisme est une méthode de raisonnement logique qui trouve son application dans de nombreux domaines, notamment le droit. Il permet de déduire des conclusions à partir de deux prémisses : une règle générale et un fait particulier. 

Structuré autour de trois éléments (prémisse majeure, prémisse mineure, et conclusion), le syllogisme facilite l’analyse et la justification des décisions juridiques. 

Mais avant d’aborder son utilisation en droit, revenons à ses origines et à son évolution, qui remonte à l’Antiquité.

II. LES ORIGINES DU SYLLOGISME : ARISTOTE, PERE DU RAISONNEMENT LOGIQUE?

Le concept de syllogisme nous vient directement du philosophe grec Aristote (384–322 av. J.-C.), qui est souvent considéré comme le père de la logique. C’est dans son ouvrage Les Premières Analytiques qu’il expose pour la première fois cette méthode de raisonnement.

Aristote cherchait à comprendre comment l’esprit humain passe d’une connaissance générale à une conclusion spécifique, et c'est ainsi qu'il a structuré le syllogisme.

Selon une anecdote célèbre, Aristote aurait conçu le syllogisme en observant les discours politiques de son temps. Il remarqua que les orateurs utilisaient souvent des généralisations pour convaincre leurs auditoires de vérités spécifiques. Inspiré par cette observation, il formalisa ce schéma de raisonnement pour en faire un outil de démonstration universel. Ce fut une véritable révolution intellectuelle, et ce modèle perdure encore aujourd'hui, notamment dans la pratique juridique.

Exemple classique d’un syllogisme aristotélicien :

  • Prémisse majeure : Tous les hommes sont mortels.
  • Prémisse mineure : Socrate est un homme.
  • Conclusion : Socrate est mortel.

Le raisonnement syllogistique s’est diffusé à travers l’Europe grâce aux philosophes grecs et à l’influence de la pensée aristotélicienne, notamment à travers les écrits des philosophes arabes au Moyen Âge. 

L’un des plus célèbres fut Averroès, un philosophe andalou du XIIe siècle, qui a commenté et traduit les œuvres d’Aristote, contribuant ainsi à la redécouverte de la logique aristotélicienne par l’Occident chrétien.

Une anecdote intéressante raconte que Thomas d'Aquin, l’un des plus grands théologiens et philosophes du Moyen Âge, avait été tellement impressionné par les commentaires d’Averroès qu'il l'appelait "Le Commentateur". Grâce à ces travaux, le syllogisme fut intégré dans les universités médiévales, notamment à l'Université de Paris, où il devint un pilier de l'enseignement de la logique et du droit.

III.  LE SYLLOGISME EN DROIT : UNE METHODE RIGOUREUSE

Dans la pratique juridique, le syllogisme est un outil particulièrement prisé pour structurer le raisonnement et justifier les décisions. Son utilité repose sur trois éléments :

  1. La prémisse majeure

En droit, la prémisse majeure est une règle juridique générale. Exemple : « Tout contrat conclu en l'absence de consentement est nul ».

  1. La prémisse mineure

Elle correspond aux faits de l’affaire. Exemple : « Dans cette affaire, une des parties n’a pas donné son consentement librement ».

  1. La conclusion

C’est le résultat logique de l’application de la règle au cas concret. Exemple : « Le contrat est donc nul ».

Le syllogisme permet de rendre une décision claire et justifiée. Les avocats, magistrats, et autres professionnels du droit l’utilisent pour bâtir leurs arguments de manière rigoureuse.

IV. LE SYLLOGISME DANS LES GRANDES JURISPRUDENCES FRANCAISE 

Découvrons ensemble quelques arrêts français emblématiques qui illustrent l’utilisation efficace du syllogisme en droit.

1. Arrêt Dame Veuve Trompier-Gravier : Le Droit de la Défense en Droit Administratif

Rendu par le Conseil d’État en 1944, cet arrêt est considéré comme un jalon dans la protection des droits des administrés. Madame Trompier-Gravier avait subi une décision de retrait de son autorisation d’occupation d’espace public sans avoir eu l’opportunité de se défendre.

Le syllogisme ici est clair :

  • Majeure : Tout administré doit bénéficier d’un droit de défense avant qu’une décision défavorable ne soit prise.
  • Mineure : Madame Trompier-Gravier n’a pas été entendue avant cette décision.
  • Conclusion : La décision est donc illégale pour non-respect des droits de la défense.

Cet arrêt pose les bases du droit à une procédure équitable en droit administratif, garantissant aux administrés la possibilité de se défendre avant toute sanction.

2. Arrêt Blanco : Naissance de la Responsabilité Administrative

L’arrêt Blanco, rendu par le Tribunal des conflits en 1873, est souvent considéré comme "l'acte de naissance" du droit administratif français. Il s’agissait de déterminer la responsabilité de l’État pour un dommage causé par un service public (ici, la manufacture de tabac). La question posée était de savoir si les principes du Code civil s’appliquaient à la responsabilité de l’État.

Le raisonnement syllogistique de l’arrêt :

  • Majeure : La responsabilité de l’État ne peut être régie par les principes du Code civil lorsque des services publics sont en cause.
  • Mineure : Le dommage en question relève du fonctionnement d’un service public.
  • Conclusion : La responsabilité de l’État doit donc être appréciée selon des règles spécifiques, et non civiles.

Cet arrêt a fondé le droit administratif comme une branche autonome du droit, avec ses propres principes, notamment en matière de responsabilité.

3. Arrêt Mercier : Les Obligations du Médecin

Dans cet arrêt rendu en 1936, la Cour de cassation pose le principe de la responsabilité contractuelle du médecin envers son patient. Un médecin est tenu de fournir des soins attentifs, consciencieux, et conformes aux données acquises de la science. S’il manque à ces obligations, sa responsabilité est engagée.

Le syllogisme de l’arrêt Mercier :

  • Majeure : Le médecin doit fournir des soins consciencieux et conformes aux connaissances scientifiques.
  • Mineure : En l’espèce, le médecin n’a pas respecté cette obligation.
  • Conclusion : Sa responsabilité est engagée en raison du manquement contractuel.

L’arrêt Mercier a profondément influencé la jurisprudence en matière de responsabilité médicale, en mettant en avant l’obligation de moyens du médecin et la protection des patients.

4. Arrêt Bordas : Le Nom Commercial comme Bien Patrimonial

L’arrêt Bordas de 1985 a marqué la reconnaissance du nom commercial comme un élément de patrimoine indépendant de la personne physique. L’affaire concernait le nom d’une société, "Bordas", qui avait acquis une valeur commerciale distincte de la personne de son fondateur.

Le syllogisme appliqué par la Cour de cassation :

  • Majeure : Un nom peut être valorisé comme élément de fonds de commerce dès lors qu’il est détaché de la personne physique et associé à une activité.
  • Mineure : Le nom "Bordas" est ici utilisé commercialement et associé à une société.
  • Conclusion : Le nom "Bordas" peut donc être cédé comme un élément patrimonial de la société.

Cette décision a ouvert la voie à la patrimonialisation des noms commerciaux en France, ce qui a eu des répercussions importantes dans le droit des sociétés.

5. Arrêt Myr’ho : Responsabilité contractuelle et d'engagement d'un tiers à un contrat

Dans cet arrêt rendu en 2006, l’Assemblée plénière de la Cour de cassation retenait que le tiers à un contrat peut invoquer, sur le fondement de la responsabilité délictuelle, un manquement contractuel dès lors que ce manquement lui a causé un dommage.

Le syllogisme de l’arrêt Myr’ho :

  • Majeure : En principe, un tiers n’est pas tenu contractuellement responsable d’un dommage causé par l’inexécution d’un contrat entre deux autres parties.
  • Mineure : Toutefois, lorsque la faute d’un tiers (comme ici le prestataire) cause un préjudice direct à l’une des parties du contrat, la responsabilité du tiers peut être engagée.
  • Conclusion : Le prestataire (le tiers) pouvait être tenu responsable des conséquences de son manquement en raison du lien de causalité direct entre sa faute et le préjudice subi par "Boot Shop".
  • .

L'arrêt Boot Shop ou Myr’ho constitue ainsi un jalon important dans l'évolution de la responsabilité en droit civil français, notamment en matière de la responsabilité des tiers à un contrat..

6. Arrêt Canal de Craponne : La Force Obligatoire du Contrat

Enfin, l’arrêt Canal de Craponne de 1876 marque le refus de la révision pour imprévision des contrats. Dans cette affaire, les parties avaient fixé un prix immuable pour l’usage de l’eau, malgré l’augmentation des coûts de maintenance du canal.

Le syllogisme retenu par la Cour de cassation :

  • Majeure : Un contrat doit être exécuté conformément aux conventions initiales, même si les circonstances changent.
  • Mineure : Les parties ont convenu d’un prix fixe sans clause de révision.
  • Conclusion : Le prix reste inchangé, malgré l’augmentation des coûts.

Cet arrêt illustre la rigueur du principe de force obligatoire des contrats, qui a été respecté pendant des décennies, même si la jurisprudence a évolué pour admettre, dans certains cas, la révision pour imprévision.

V. LES LIMITES ET CRITIQUES DU SYLLOGISME EN DROIT

Malgré son efficacité, le syllogisme n’est pas exempt de critiques, notamment en raison de sa rigidité. Par exemple :

  1. La complexité des affaires juridiques

Toutes les situations ne peuvent pas être réduites à un simple raisonnement syllogistique. Dans certains cas, la règle de droit applicable n’est pas claire, ou plusieurs règles entrent en conflit, rendant le syllogisme moins efficace.

  1. L’interprétation des faits

Le syllogisme suppose que les faits sont clairement établis, mais dans la pratique, il existe souvent des désaccords sur l’interprétation des faits, ce qui rend la conclusion incertaine.

  1. L'évolution du droit

Le droit évolue constamment, et certaines règles juridiques peuvent être remises en cause ou redéfinies. Le syllogisme ne permet pas toujours de prendre en compte ces évolutions et peut donc mener à des conclusions dépassées.

VI. LE SYLLOGISME ET LES AUTRES METHODES DE RAISONNEMENT JURIDIQUE

Outre le syllogisme, il existe d’autres formes de raisonnement en droit, comme le raisonnement inductif, analogique, ou téléologique

Ces méthodes permettent de nuancer l’approche parfois trop rigide du syllogisme, en tenant compte de la spécificité des faits et de la finalité des règles juridiques.

CONCLUSION : UN RAISONNEMENT ANCIEN, MAIS TOUJOURS ACTUEL

Le syllogisme, bien qu’âgé de plus de deux millénaires, demeure un outil fondamental dans la pratique juridique. Son origine, ancrée dans la philosophie d'Aristote, et sa diffusion à travers les âges montrent à quel point ce raisonnement est universel. Toutefois, il doit être utilisé avec discernement, en tenant compte des particularités des affaires et des évolutions du droit.

Encadré pédagogique : Exercice pratique sur le syllogisme juridique

Pour conclure, voici un exercice pratique pour illustrer le syllogisme en droit :

  • Prémisse majeure : Toute personne qui commet une faute engage sa responsabilité civile.
  • Prémisse mineure : En l’espèce, M. X a commis une faute en causant un dommage à M. Y.
  • Conclusion : M. X engage sa responsabilité civile et doit indemniser M. Y.

 


Merci de votre attention et vos partages sont mes meilleurs encouragement.

Pour tout avis, suggestion, ou demande, veuillez l'écrire sur savoirdroit@gmail.com.😊

Commentaires

  1. Félicitations Maître Diallo pour cet article qui illustre clairement la méthode d’expression tant écrite qu’orale des hommes de Droit.
    Aussi nombreux que soient les critiques, il n’en demeure pas moins que c’est la méthode la plus usitée par les juristes. Le syllogisme, en mon sens favorise la compréhension et facilite l’expression.
    Merci 🙏🏾

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